LA PRISE ILLEGALE D'INTERETS
L'article
432-12 N.C.P réprime la prise illégale d'intérêts, infraction
correspondant à l'ancien délit d'ingérence.
Cette infraction consiste " à prendre, recevoir ou conserver,
directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans
une entreprise ou dans une opération dont
elle a, au moment de l'acte, en tout en partis, la charge
d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation
ou le paiement ".
Elle
s'applique notamment aux personnes dépositaires de l'autorité
publique telles que les représentants de l'Etat, les maires…
etc. Il n'est pas nécessaire que l'élu ait eu la qualité
de décideur. Il suffit qu'il ait partagé des prérogatives
avec d'autres ou bien ait participé à la préparation d'une
décision ou à la surveillance d'une opération pour que sa
responsabilité soit retenue.
Mais
en tout état de cause, l'élu doit avoir eu une responsabilité
particulière dans le traitement de l'affaire litigieuse.
En effet, il ne semble pas que du simple fait qu'il siège
au Conseil Municipal, il puisse être considéré comme chargé
d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation
ou le paiement d'une affaire traitée par la commune. (Cass.
Crim. 24 oct. 1957).
Cependant,
la jurisprudence opère une distinction entre le maire et
les autres élus locaux :
- S'agissant de maires, la
Cour de Cassation considère qu'il est chargé es-qualité
de surveiller l'ensemble des opérations réalisées pour le
compte de la commune. Ainsi donc, il peut être condamné
pour ingérence sans qu'il soit nécessaire de vérifier préalablement
son implication personnelle dans la surveillance d'une opération
particulière (Cass. Crim. 23 fév. 1966).
Cette approche jurisprudentielle se fonde sur l'article
L 122-11 du Code des Communes qui dispose que le maire est
seul chargé de l'administration. Ainsi, il a été jugé que
le délit d'ingérence était consommé dès lors que l'officier
public avait pris ou reçu un intérêt dans une affaire dont
il avait l'administration ou la surveillance, celle-ci se
réduirait-elle à de simples pouvoirs de préparation ou de
propositions de décisions prises par d'autres. (Cass.
Crim. 7 oct. 1976).
-
S'agissant de simples élus ou même
des adjoints, la Cour de cassation considère que
les juges du fond doivent s'appuyer sur des constatations
de fait permettant d'établir que le prévenu est bine intervenu
au Conseil Municipal dans le traitement de l'affaire litigieuse.
(Cass. Crim. 2 fév. 1988).
Le
Nouveau Code Pénal ne devrait rien changer à cette jurisprudence.
Cependant, il prévoit un degré d'implication de l'élu plus
complet puisqu'il vise non seulement l'administration et
la surveillance mais aussi la liquidation et le paiement,
lesquels n'étaient pas réprimés par l'ancien code pénal.
A cet égard, il convient de rappeler le rôle préventif parfois
exercé par les juridictions administratives. Ainsi à titre
d'exemple, la CE a annulé les délibérations d'une association
locale autorisant un acte qui aurait exposé un élu local
au délit d'ingérence. (CE 9 nov. 1984, Mme Laborde Casteix).
Dans
le même esprit, une commission d'appel d'offres pourrait
exclure de cette liste un entrepreneur ayant la qualité
de conseiller municipal dont la participation à la soumission
aurait pour effet, en cas d'attribution effective du marché,
à l'exposer au délit d'ingérence.
En pratique, la prise d'intérêts se
traduit par l'existence d'un intérêt personnel pécuniaire
(par exemple, l'élu passe un contrat avec l'entreprise qu'il
dirige).
Il peut également s'agir d'un intérêt
moral voire affectif et le fait que la personne n'ait
pas recherché un profit personnel, qu'elle ait agi de bonne
foi et qu'elle ait même eu un mobile louable, comme par
exemple le désir de rendre service à la commune, n'empêche
pas l'infraction d'être constituée. C'est l'élu partisan
qui est en définitive réprimé.
L'intention
délictueuse n'implique donc pas l'intention frauduleuse.
L'élément moral ne réside pas dans une intention consciente
et claire de commettre l'infraction mais plutôt dans l'insuffisance
des précautions prises en vue d'éviter de le commettre.
C'est
ainsi qu'un ancien maire a été reconnu coupable d'ingérence
pour avoir traité une affaire personnelle avec une société
d'économie mixte alors qu'en sa qualité d'élu municipal,
il avait été nommé membre de cette société. Pourtant au
moment où il avait traité cette affaire, il n'était pas
conscient du conflit d'intérêts car il pensait alors que
ses fonctions d'administration avaient cessé avec la fin
de son mandat de maire. Sa bonne foi incontestable et reconnue
par la Cour de Cassation n'a pas empêché l'infraction d'être
constituée. (Cass. Crim. 18 fév. 1987 BIANCOTTO).
Le délit de prise illégale d'intérêts tout comme l'ancien
délit d'ingérence sont ainsi des infractions purement objectives.
Le Nouveau Code Pénal vise non seulement le fait de prendre
ou de recevoir un intérêt mais aussi de le conserver.
Cette prise d'intérêts peut en outre se faire dans une opération
mais également dans une entreprise, notion plus large par
rapport à l'ancien code pénal, (entreprises commerciales,
artisanales, sociétés d'économie mixte et les associations
créées par la collectivité) car en effet, elles poursuivent
des objectifs propres distincts de ceux de la collectivité
ou tout autre organisme du secteur parapublic.
Les
élus doivent dès lors être particulièrement vigilants s'ils
exercent parallèlement une fonction au sein d'une société
privée ou d'une SEM. Cette vigilance est d'autant
plus nécessaire que le CE, le 14 janvier 1977 (Ass. Perrault
et autres), a considéré qu'un Conseil Municipal avait
perdu l'autorité morale nécessaire à la gestion de la commune
pouvant légalement justifier sa dissolution dans le cas
où l'assemblée, par ses délibérations et son attitude, avait
favorisé les irrégularités commises par son maire qui avait
été condamné pour délit d'ingérence.
Les
élus des communes de moins de 3.500 habitants bénéficient
cependant d'un traitement particulier dans la mesure
où ces communes se caractérisent par le nombre limité de
ses acteurs économiques. Dans ces conditions, il serait
très difficile d'interdire toute transaction entre la commune
et certains élus municipaux qui se trouvent dans leur vie
professionnelle à la tête d'une entreprise.
Aussi,
dans les communes de 3.500 habitants au plus, les maires,
adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant
en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la
commune dont ils sont les élus pour le transfert de biens
mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans
la limite d'un montant annuel fixé à 100.000 francs.
En
outre, ils peuvent acquérir une parcelle d'un lotissement
communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure
des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement.
La location à usage professionnel est ainsi exclue. Ces
actes doivent alors être autorisés, après estimation des
biens concernés par le service des domaines, par délibération
motivée du Conseil Municipal.
Dans
tous ces cas, l'élu bénéficiaire ne peut naturellement pas
participer à la séance à huis clos du Conseil Municipal
au cours de laquelle l'autorisation du contrat doit être
décidée.
Enfin, aux termes du Nouveau Code Pénal et de l'article
10 de la loi du 19 janvier 1995 sur le financement de la
vie politique, l'élu reconnu coupable
de prise illégale d'intérêts encourt une peine d'emprisonnement
de 5 ans et 500.000 francs d'amende, en sus d'une peine
d'inéligibilité pendant une durée de 5 as à compter de la
date à laquelle la condamnation est devenue définitive.
Il
convient pour conclure de rappeler que seule la collectivité
territoriale peut se constituer partie civile si elle est
directement lésée par les agissements délictueux de ses
élus. Un contribuable de cette collectivité dispose de cette
même faculté mais son action doit alors être introduite
pour le propre compte de la commune lésée, après une autorisation
préalable du Tribunal Administratif, et ce uniquement si
ladite commune a refusé d'exercer elle-même l'action qui
était la sienne.
En
outre, le CE soumet cette action du contribuable à deux
conditions supplémentaires : l'action envisagée doit avoir
un intérêt suffisant pour la commune et avoir une chance
de succès. Ainsi donc, hormis cette hypothèse restrictive,
le contribuable de la commune se voit dénier toute action,
son préjudice étant alors trop indirect. L'allégation d'un
préjudice moral résultant du fait des agissements délictueux
de l'élu en cause n'est pas davantage opérant.
Faites
appel à vos cyber-avocats!